Les téléspectateurs de TV payante pourraient résilier leur abonnement pour regarder leurs programmes autrement… Une tribune de Philippe Bailly, Président de NPA Conseil
« Le Tourbillon. Au-delà du retentissement mondial que Jeanne Moreau a donné à la chanson de Jules et Jim, le terme n’est pas loin sans doute de résumer ce que ressentent les professionnels de la télévision payante. Tant la dynamique technologique, les jeux d’acteurs, la transformation des usages et l’évolution du cadre juridique semblent parfois rendre illusoires les certitudes d’hier et imprévisible la donne du lendemain. Indispensable, dès lors, de distinguer invariants, changements optiques et véritables mutations pour rendre à l’ensemble un peu de lisibilité.
S’agissant des invariants, la valeur de rareté est – paradoxalement – la plus évidente. En rendant plus facile l’accès aux programmes anciens, en même temps qu’il facilite la production comme la diffusion de contenus nouveaux, le numérique crée une situation d’hyper abondance souvent soulignée… en même temps qu’il accroit la valeur perçue de l’inédit. L’audience des évènements sportifs continue à se situer au plus haut et, d’après le Baromètre de la consommation NPA Conseil/ Harris Interactive, le classement des programmes les plus visionnés par les Français en SVoD est presqu’exclusivement composé de nouvelles séries ou, au moins, de nouvelles saisons de franchises existantes. Comme, en miroir, le nombre de nouvelles séries produites aux Etats-Unis a d’ailleurs atteint un nouveau record en 2017 : 487, d’après les données de FX Networks.
La valeur de référence de l’écran TV constitue l’autre constante. Qu’il tire les bénéfices des évolutions techniques permettant d’améliorer en permanence l’expérience utilisateur (écrans plus grands et plus fins, banalisation de l’UHD, montée en puissance des barres de son et autres équipements de home cinéma…), ou du goût persistant au visionnage partagé, donc plus confortable sur le téléviseur. Ce dernier concentre 60% de la consommation de SVoD d’après NPA Conseil et Harris.
La substitution du linéaire par le «à la demande» apparaît moins essentielle, s’agissant particulièrement des offres thématiques qui ont de tout temps constitué le cœur de promesse de la télévision payante. Coté métier, la nécessité de proposer les programmes les plus adaptés représente un point commun aux «chaînes classiques» et à la SVoD. Il n’est que de voir par exemple la façon dont Netflix concentre ses sorties de séries majeures le vendredi (favorisant ainsi le binge viewing du week-end) pour comprendre que la notion de programmation n’est pas non plus indifférente à la SVoD. Côté usages, start over, reverse EPG, live, catch up et SVoD constituent dans l’esprit du téléspectateur un tout, qui lui garantit un accès plus souple au programme, sans se soucier de considérations juridiques (chronologie des médias particulièrement) qui lui sont étrangères. OCS – dès sa création en 2008 – ou, plus récemment, My Nickelodeon Junior, TFou Max et Gullissime, intégrés aux bouquets des opérateurs au même titre que des chaînes, et, côté distributeur, Now TV (Sky), MyCanal ou Pickle TV (Orange) l’ont bien intégré.
Restent les vrais game changers et, au premier chef, l’OTT.
Généralisation du haut et très haut débit aidant, celui-ci permet à l’éditeur de proposer son service au consommateur final, indépendamment de tout référencement par un FAI ou un distributeur audiovisuel, et avec une facilité croissante de pouvoir le visionner sur «l’écran roi» grâce aux dongles (Chromecast…) et autres streaming box (Apple TV, Roku…). Aux Etats-Unis, d’abord, chaînes et producteurs ont multiplié les offres direct to consumer (Warner/Turner/HBO, Viacom/CBS/Showtime, Starz, Disney/ESPN…), suivis par les opérateurs eux-mêmes (ATT/Direct TV Now, Comcast/Xfinity Instant, Dish/Sling TV…), soucieux de prévenir les mouvements de cord cutting… mais créant ainsi les risques d’en accélérer l’ampleur.
Ce n’était là que la première étape du mouvement de recomposition-disruption, car l’entrée dans le jeu audiovisuel d’acteurs qui lui étaient étrangers – et notamment la montée en puissance des distributeurs – va changer la donne. Le service Amazon Prime Video a été d’abord considéré comme un goodie destiné à aider à l’acquisition d’abonnés pour l’offre Prime. Cependant, les investissements consentis dans l’acquisition de catalogue et dans les créations originales, le développement de l’activité de distribution de services tiers (Amazon Channels) et l’activité croissante de vente d’espaces publicitaires se traduisent dans les comptes du groupe par des lignes de revenus de plus en plus significatives. Alibaba ou Rakuten semblent disposés à marcher dans les traces du groupe de Jeff Bezos.
Et, la puissance financière de ces nouveaux entrants leur permet de penser leur stratégie au niveau mondial, là où cadre juridique (la territorialité des droits) et usages des acteurs avaient jusqu’alors limité les déploiements internationaux.
Quant à la France, elle est jusque-là restée relativement épargnée par cette nouvelle tempête, parce que la pénétration – sans équivalent – des «autoroutes» triple play (internet, téléphone fixe, télévision) limite pour le consommateur la tentation des «itinéraires bis» OTT. Mais pour combien de temps ?»
Philippe Bailly est Président de NPA Conseil.
NPA Conseil est un cabinet de conseil stratégique et
opérationnel au service de la transformation numérique
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