Une tribune de Frédéric Filloux, Chercheur résident à l’université de Stanford, aux Etats-Unis
« L’information est le seul produit marchand dont les coûts de production ne sont pas transmis au consommateur final. Le projet Deepnews.ai veut corriger ce déséquilibre en utilisant l’intelligence artificielle au bénéfice du journalisme de qualité.
Prenez un iPhone X. Coût de production: 357 dollars. Prix de vente moyen: 1000 dollars. A l’autre bout du spectre, un portable Android d’entrée de gamme coûte une quarantaine de dollars à produire et est vendu environ cinquante. Notons au passage que la marge est sept fois plus importante entre le bas et le haut de gamme. C’est tout le talent d’Apple d’avoir construit une machine industrielle “ayant les volumes de Toyota et les marges de Ferrari”, selon la formule de Scott Galloway, professeur de marketing à New York University.
Pour les médias d’information, ce serait plutôt les marges de la sidérurgie couplée à des miettes publicitaires laissée par les géants du net.
La presse numérique est dans une situation aberrante: sur la page d’un site web ou d’une app mobile, quelle que soit la qualité du contenu, le prix de la publicité qui l’accompagne reste le même. Qu’il s’agisse d’un article racoleur destiné à faire du clic, d’une synthèse produite à la va-vite par un stagiaire, ou d’une enquête ayant nécessité des semaines de travail, le CPM sera le même. Cela explique l’incitation à produire au moins cher — d’autant qu’un flux low-cost bien orienté génèrera plus d’audience qu’une sophistication éditoriale difficile d’accès (c’est le pari de BuzzFeed dont le mince filet de qualité éditoriale est noyé dans un torrent de superficialité).
Est-ce une fatalité ? Ne peut-on pas faire mieux ? N’y a-t-il pas moyen de restaurer un semblant de correspondance entre la qualité éditoriale et le prix de la publicité ?
C’est l’un des objectifs du projet Deepnews.ai développé à l’université de Stanford en Californie par la société française Monday Note SAS, éditrice de la newsletter éponyme (le projet est financé par divers fondations américaines et le Fonds DNI de Google). Deep news car il s’agit d’aller au plus profond des composantes d’une information, A.I. car des traitements aussi complexes sur de larges volumes imposent le recours à de l’intelligence artificielle. Grâce à l’analyse de centaines de milliers d’articles, le deep learning (apprentissage profond) va par exemple déterminer des caractéristiques invisibles (structure sémantique, densité d’information… ou même ponctuation) permettant d’évaluer la sophistication d’un article.
Le principe de Deepnews.ai est simple: un éditeur ou un diffuseur d’information soumet des articles à la plateforme qui restitue un score de qualité sur une échelle de 1 à 5 pour chacun d’entre eux.
“Si vous arrivez à résoudre cette question de scoring, tout est possible”, résume le patron d’une des principales régies mobiles basée à New York. Comme d’autres, ce media buyer s’inquiète de l’état du marché, caractérisé par une captation des plateformes (l’an dernier, Google et Facebook ont capturé 84% des investissements et la totalité de la croissance de la publicité digitale, selon GroupM, tandis qu’Amazon est en passe de devenir un acteur important du secteur) et par une déflation généralisée du prix.
A Londres comme à New York: les grands acteurs de la publicité digitale prennent conscience de leur soudaine mortalité et de l’urgence à développer une nouvelle approche. Comme par exemple intégrer une notion de qualité — au sens, valeur ajoutée éditoriale — dans la fixation des tarifs. Incidemment, cela permet aussi d’adresser le problème du brand safety qui devient de plus en plus prégnant avec l’explosion des fake news.
L’avènement d’un système de scoring fiable susceptible de devenir une norme de marché (vaste ambition), ouvre la voie à un système vertueux dans lequel l’éditeur dispose d’un argument pour maintenir des prix plus élevé sur les éléments onéreux à produire, tandis que l’acheteur média utilise le même indice pour garantir à son client un emplacement premium. L’idée est aussi que l’éditorial de qualité attire des lecteurs plus âgés, plus éduqués, et au revenu discrétionnaire plus important que la commodity news, l’information sans valeur ajoutée.
Pour les éditeurs un indicateur de qualité éditoriale garantit également plus de pertinence pour les dispositifs de recommandation—donc plus de pages vues et des sessions plus longues. Il permet aussi le développement de systèmes de personnalisations avancés avec des “tags” de qualité associés aux articles et lisibles par des profils de lecteurs. »
Frédéric Filloux
Frederic Filloux est Chercheur résident à
l’université de Stanford (Californie, USA)
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