Une tribune de Sébastien Emeriau, Chief Strategy Officer, Havas Media Group France, Speaker à AdForecast#5
L’inflation des prises de paroles RSE
Il y a bien longtemps, au XXe siècle, une marque de rillettes clamait sur les écrans pub « Nous n’avons pas les mêmes valeurs » comme un énorme clin d’œil plein de connivence à la population française. En plaçant ainsi ses valeurs au cœur de son business, Bordeau Chesnel était-elle à l’avant- garde des nouveaux modèles de marque ? Des années plus tard, les valeurs ne s’exprimaient qu’en réaction aux crises, face aux problèmes et à la défiance des consommateurs. C’est l’exemple de McDo qui s’est vu accusé de malbouffe, d’américanisation, d’exploitation des agriculteurs, de sous-emploi et qui a su, avec conviction, consistance et concrétude, répondre pied à pied pour devenir une marque modèle dans sa démarche.
Face à la multiplication des crises diverses, dérèglements climatiques, problèmes sociaux, sociétaux et financiers, accélérés par les réseaux sociaux, plus aucune marque n’est à l’abri et nombreuses sont celles qui brandissent leurs valeurs comme des parades. Les consommateurs demandant aux marques de s’emparer de ces sujets, celles-ci en font un axe de différenciation. Comme cela fédère aussi l’interne et guide les déploiements, elles l’inscrivent dans une raison d’être ou une grande mission.
Au final, l’inflation des prises de paroles RSE ou de soutien aux causes entraîne les marques dans une grande compétition de messages qui dépassent leur catégorie, faisant de ce type de prise de parole une catégorie en soi, mettant les citoyens face à des comparaisons insondables et pourtant bien réelles: qui a la meilleure démarche RSE entre Renault, L’Oréal, Orange et Carrefour?
Le poids des bénéfices collectifs dans l’image d’une marque
Ce qui est sûr, et notre étude Meaningful Brands le confirme à chaque édition depuis 5 ans, c’est que le
poids des bénéfices collectifs dans la Brand Equity tourne autour des 30%. L’évaluation de la capacité de votre marque à bien répondre à des attentes de bénéfices collectifs est presque au même niveau que sa capacité à répondre à des bénéfices personnels. Surprenant, non? Vous, combien de temps, de moyens consacrez-vous à ce qui contribue à presque 30 % de la valeur de votre marque?
Les marques font des choses, concrètes. Beaucoup d’entre elles améliorent leur empreinte. Prenez le food: l’explosion des produits sans gluten, sans nitrite, sans sel, sans gras, avec des conditionnements allégés, en vrac, recyclés et recyclables… a permis aux marques de reconquérir les cœurs après quelques années chahutées par des révélations dérangeantes.
Si parler de valeurs contribue à nourrir la Brand Equity, de quelles valeurs dois-je parler? Pour l’ensemble des marques, l’étude Meaningful Brands montre qu’il faut être transparent, bénéficier à l’économie, avoir un comportement éthique, promouvoir des chaînes d’approvisionnement propres et le recyclage. Mais si on est une banque ou un distributeur, il faut en plus être un bon employeur, et si on est un produit laitier, il faut davantage travailler la sécurité alimentaire et les producteurs locaux. Et si on veut s’adresser aux jeunes, ce sont les causes, la diversité et les minorités qui vont ressortir, ouvrant tout un pan à la contestation des systèmes de pouvoir et à la refonte des rapports sociaux.
Entrer dans le système de valeurs du consommateur
Élargissons le spectre aux valeurs telles que Schwartz les a définies en sciences sociales, on peut se dire que les marques peuvent promouvoir l’hédonisme, l’autonomie, la sécurité ou la tradition, tout un champ parfois émotionnel, aux implications fortes en communication.
Travailler sur ce qui contribue à 30% de la Brand Equity signifie travailler sur sa valeur. Si vous en doutiez encore, j’ajoute que cela devient même indispensable quand on réalise que les valeurs sont le filtre de notre cerveau dans son approche au monde et ses prises de décisions.
Le Laboratoire de Neurosciences Cognitives Computationnelles de l’école Normale Sup’, avec qui nous menons des travaux sur la prise de décision et le parcours client, est formel : si votre propos n’entre pas dans le système de valeurs de votre interlocuteur, il n’a que peu de chances de franchir la barrière de son intérêt, et encore moins de le convaincre. D’une certaine façon, la prolifération des fake news nous le démontre par l’absurde. Nous ne voyons que ce que nous croyons. Avec les valeurs comme filtre, comment les marques doivent- elles orchestrer leur communication pour augmenter leur valeur en parlant valeurs? Et, en glissant sur le terrain des valeurs, les marques ne risquent-elles pas de se politiser? C’est le choix que les marques américaines ont fait, embrassant le combat de minorités pour affirmer leur vision du monde et déployer leur empathie massivement. Parler de valeurs n’est pas aussi simple que de vanter la fraîcheur ou la provenance d’un produit, sa facilité d’usage ou sa capacité à nous faire gagner du temps. Parler de valeurs est hautement complexe car cela fait appel à l’éducation, l’expérience et la vision du monde de votre interlocuteur, sans oublier le contexte dans lequel il est pour recevoir votre message. Voilà pourquoi la réception des discours RSE par les publics est particulièrement délicate et peut susciter doutes et désapprobation. Nous explorons actuellement avec les chercheurs de l’ENS, les systèmes de communication qui pourraient permettre aux marques de mieux parler valeur.
Exprimer des valeurs sincères et en avoir envie
Il se peut à ce moment de la lecture que vous vous disiez : De toute façon ne suis pas Nike, ni Ben&Jerry’s, Patagonia ou Biocoop, que puis-je faire ? Derrière une marque il y a toujours des individus, des fondateurs,
salariés, créateurs, fabricants, distributeurs qui croient et portent un ensemble de valeurs. Pas ces valeurs clamées sur les murs mais celles, plus silencieuses, qui font le lien et le liant entre toutes les parties prenantes. Ce sont ces valeurs qui peuvent être exprimées, car elles sont sincères. Il faut juste que vous en ayez envie.
Vous pouvez raconter ce que vous faites sur vos lignes de production, d’approvisionne- ment et de logistique. Vous pouvez mettre en avant tous les moyens que vous offrez à vos clients pour qu’ils fassent mieux, chacun chez eux. Vous pouvez défendre une cause, dispenser de bonnes pratiques, accompagner d’autres qui font, en éduquant, en donnant les moyens…
Chaque année, plus de 650 milliards de dollars sont investis en publicité dans le monde. Imaginez l’impact si 10% de ces montants étaient engagés sur de nouveaux comportements permettant aux gens de s’aligner avec leurs valeurs. Vous ne pouvez plus ignorer que vos valeurs peuvent contribuer à renforcer votre valeur.
Sébastien Emeriau,
Chief Strategy Officer,
Havas Media Group France
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