Adieu aux vitrines qui fermaient le magasin, bonjour aux devantures accueillantes qui donnent envie d’entrer et racontent une histoire
Le magasin est un média. Et en poussant la métaphore, sa vitrine est la Une du journal ou le générique de l’émission TV. «La vitrine est le premier media du magasin», affirme Suong-Mai Dang, directrice de création de l’agence design Malherbe Paris. C’est le premier point de contact entre un commerce et un client potentiel. Son objectif est de donner envie au passant de franchir l’entrée du magasin. Or, d’après les études, trois secondes, c’est le laps de temps dont dispose une vitrine pour capter l’attention du fameux passant. Il faut donc qu’elle soit attrayante et dynamique!
Le premier point de contact entre un commerce et un prospect
«La vitrine a un rôle stratégique et son impact est primordial, déclare Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce. C’est elle qui permet de faire franchir au consommateur les derniers mètres. Il faut savoir qu’en commerce physique, le taux de transformation est de 50% en moyenne alors qu’il est de 5% en e-commerce où la vitrine, c’est la home page». «En commerce physique, reprend-t-il, l’enjeu de la vitrine est donc de faire entrer. Ensuite c’est l’offre, l’accueil… qui feront acheter. La vitrine est encore plus stratégique en centre-ville où le choix est pléthorique, que ce soit en mode, décoration, beauté…». Et oui, à l’heure du e-commerce et des millennials qui choisissent et commandent avec leur mobile, la vitrine n’a pas disparu ! Elle a même encore plus d’importance. Il faut dire qu’elle a bien changé ! Déjà on voit de moins en moins la mention «vitrine en cours» («la phrase qui tue!», note Frank Rosenthal). Ensuite, les vitrines n’obstruent plus la vue de l’intérieur du magasin comme c’était le cas autrefois. «Nous observons actuellement plutôt l’absence de vitrine avec des magasins de plus en plus ouverts, explique Dominique Desmons, directeur de création et associé du pôle Architecture et Retail de Lonsdale. Dans les années 60, la vitrine cachait en quelque sorte l’intérieur du magasin, ce qui permettait d’installer au dos un mural avec des produits. Aujourd’hui, l’enjeu est différent. Il s’agit de symboliser la boutique. Et pour inciter les clients à entrer, rien ne vaut la lumière, la transparence, qui correspond de surcroit au langage actuel des marques ». On voit ainsi, notamment dans les centres commerciaux, de plus en plus de boutiques ouvertes. «Le magasin devient vitrine, ajoute Dominique Desmons. Nous travaillons à l’agence sur ce concept». Et de citer La Fabrique de Christophe Adam, le spécialiste de l’éclair, et la Maison du Chocolat. «Le traitement des vitrines en transparence permet d’ouvrir sur le magasin et de moderniser le merchandising», résume Dominique Desmons. «Aux Etats-Unis, raconte de son côté Frank Rosenthal, les vitrines sont très ouvertes, le summum étant l’Apple Store avec son Cube de verre transparent à New York, actuellement en chantier. La transparence totale est même devenu un concept en lui-même qui se passe de vitrine». Mais attention, transparence ne veut pas dire absence. Elle est là pour valoriser ce qui est à l’intérieur. Et l’expert de citer l’exemple de Zara Home dont la stratégie est de laisser voir l’intérieur de ses magasins, scénarisés comme de «vraies» maisons. «Il faut scénariser les vitrines, insiste Suong-Mai Dang. Pour Fred, nous avons décliné le concept de la Riviera en jouant sur la lumière bleue présente sur la façade. Pour L’Occitane au Carrousel du Louvre et à Hong Kong, nous avons privilégié la transparence, dans la tendance actuelle de rompre les barrières entre l’extérieur et l’intérieur du magasin».
Le flagship européen de Zara Home à Palma de Majorque laisse tout voir à l’intérieur : comment faire du client un voyeur!
Une stratégie globale
Mais il y a vitrine et vitrine. De façon unanime, les acteurs reconnaissent que les meilleurs en la matière sont les grands magasins – Printemps, Galeries Lafayette – et Monoprix qui, note Frank Rosenthal, «ont une vraie stratégie vitrine et en ont fait un media et du storytelling». «La vitrine doit, ajoute-t-il, éveiller notre attention dans un couloir de monotonie, comme un spot de pub. Elle doit faire flash très vite. Elle doit aussi, comme un spot, être précise, thématisée, claire, porteuse d’image et donner envie!». Autre exigence : la cohérence avec le magasin. Les grands magasins le font très bien au moment des fêtes. Ils racontent une histoire. «La boutique doit véhiculer le discours de la marque, ce qui se fait de plus en plus facilement grâce aux écrans digitaux qui créent un impact temporaire très fort, indique Dominique Desmons. Grâce à eux, la vitrine change régulièrement. Nous le faisons pour Havas Voyage, Axa… A l’intérieur de vitrines très transparentes, les écrans digitaux apportent mouvement et vie. Ils permettent aussi de changer très rapidement les messages. Nous ne faisons pas du digital pour faire du digital mais c’est le digital qui est au service de la marque. De plus cela permet de faire des économies d’échelle et de temps». Même discours chez Malherbe Paris qui a notamment installé chez Hema Fresh en Chine des écrans digitaux qui présentent les produits et rassurent sur leur provenance.
«Aujourd’hui, pour cibler notamment les millennials, commente Suong-Mai Dang, les vitrines, qu’elles soient ou non digitales, doivent raconter une histoire. C’est du storytelling visuel. Les marques s’exposent graphiquement dans un univers qui charme le client. On n’est plus dans le marketing froid mais dans la poésie. Pour Sephora, nous avons ainsi joué la séduction en transformant par exemple vitrines et façade avec des lèvres pulpeuses ouvrant sur le magasin».
La vitrine ne doit pas être la dernière roue du carrosse dont on s’occupe au dernier moment. Une des règles, lorsque l’on y présente des produits, est de mettre des produits d’appel, des articles innovants… qui soient à niveau d’oeil mais aussi et surtout… présents en magasin. Dominique Desmons donne l’exemple de Parashop qui, en mettant en vitrine un produit qui n’était pas dans le magasin a perdu 70% des actes d’achat! «On doit parler vitrine dans le cadre du concept global. Il faut travailler en amont, un an à l’avance », affirme le manager de Lonsdale qui travaille en collaboration avec Loop, filiale spécialisée en activation. Autre tendance inspirée du luxe: faire appel à des artistes. Bien L’Épicerie, un client de Lonsdale, fait ainsi appel à une graphiste qui dessine chaque mois sur la vitrine les informations d’actualité…
Mais qui doit gérer les vitrines ? «Les services marketing et commerciaux puis les directions d’exploitation, les directions régionales et aussi les directions de magasin(s), de façon à affecter les bonnes ressources», répond Frank Rosenthal. Le principal est que la réflexion soit stratégique et que les vitrines ne soient pas figées mais au contraire changées régulièrement. Côté organisation, on rencontre plusieurs cas de figure. Les boutiques franchisées reçoivent généralement des kits de la part des enseignes. Certains responsables boutique sont étalagistes. Parfois, la tâche renvoie à un merchandiser global. «Mais cela ne s’improvise pas, insiste Dominique Desmons, même poser des stickers n’est pas évident ! Il faut une réflexion en amont et nous nous battons encore contre la vitrine de Pâques avec la paille et le crépon jaune !».
À noter enfin, comme le fait remarquer Suong-Mai Dang, le boom des visuels « au format portrait, ce qui permet à la vitrine de devenir «instagrammable» et «snapchatable», comme d’ailleurs d’autres espaces du magasin. Tout est fait pour que l’expérience retail se partage sur les réseaux sociaux. Mais ça, c’est une autre histoire!
La Fabrique (Lonsdale) : le traitement des vitrines en transparence permet d’ouvrir sur le magasin.
Catherine Heurtebise
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