Le ciblage Shopper en TV: efficacité garantie?

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Les cibles d’acheteurs et d’intentionnistes déployées par les régies TV intéressent de plus en plus les annonceurs. CB Expert a enquêté.

Tant que la publicité TV adressée n’est pas autorisée, la télévision reste un mass-média publicitaire et tout le monde peut voir le même spot TV diffusé sur une chaîne donnée à un instant T. Mais quel annonceur n’a pas rêvé de maximiser sa distribution de contacts TV sur ses clients primaires ou ses prospects chauds.

Tel est l’objectif des «cibles Shoppers» qui existent depuis plusieurs années mais suscitent depuis peu l’intérêt des annonceurs. Des agences médias gagneraient même des compétitions d’achat d’espace en recommandant ce type de ciblage.

En quoi cela consiste-t-il ?

Traditionnellement, le média-planning TV est réalisé sur des cibles socio-démographiques telles que les 25-49 ans ou les femmes responsables des achats (FRDA) de moins de 50 ans, autrefois appelées «ménagères de moins de 50 ans», dont les audiences sont mesurées depuis 1989 par Médiamétrie. À la demande de ses clients, l’institut d’études a rapidement offert la possibilité de créer des cibles ad-hoc d’équipement, à partir de son panel Médiamat, comme les foyers bénéficiant d’un jardin ou les propriétaires de chien ou chat.

Puis, en 2011 et 2012, les régies publicitaires TV ont commencé à déployer, avec Kantar Worldpanel, un ciblage basé sur des acheteurs de produits ou sur des intentionnistes (d’achat automobile par exemple). En grande consommation, l’approche de TF1 Publicité était axée sur les quantités de produits achetés («cibles QA») tandis que celle de France TV Publicité reflétait les nombres d’acheteurs («cibles NA»). Leur objectif était de montrer que leurs espaces publicitaires étaient plus «efficaces» pour vendre un produit, fidéliser une clientèle ou recruter de nouveaux acheteurs. En octobre dernier, à l’occasion de la publication de leurs conditions générales de vente pour 2019, ces deux régies ont décidé d’harmoniser ce type de ciblage, en construisant 78 «cibles Shoppers» sur des segments de marchés FMCG. Ces cibles correspondent aux 50% plus gros acheteurs de marques nationales de chaque catégorie, représentant plus de 70% du chiffre d’affaires. Parallèlement, M6 Publicité a lancé – également avec Kantar Worldpanel – une gamme de cibles acheteurs de moins de 50 ans déclinée sur 13 marchés de produits de grande consommation, avec deux leviers activables : la fidélisation et le recrutement.
Dans tous les cas, le principe est de remplacer, dans le processus du média-planning TV, la cible socio-démo par une cible d’acheteurs de produit.

Comment cela fonctionne-t-il opérationnellement ?

Concrètement, TF1 Publicité et FranceTV Publicité mettent, gracieusement, à la disposition des acheteurs TV les données d’audience Médiamat sur 78 cibles FMCG (par exemple les acheteurs de fromage à pâte molle), auxquelles s’ajoutent des cibles intentionnistes dans les secteurs auto, banque, assurance et télécom. Des cibles «custom» peuvent être créées à la demande et sur devis : des cibles concernant d’autres catégories ou les marques MDD, des cibles de recrutement ou de fidélisation, des cibles attitudinales (bio, brand lovers…), des cibles correspondant aux zones de chalandise d’une enseigne de grande distribution… France TV Publicité a récemment ajouté 3 cibles de Shoppers bio sur les catégories alimentaire, entretien et hygiène/beauté.

Pour chaque cible, les acheteurs TV ont accès aux GRP des écrans publicitaires des chaînes gratuites et au calcul de la couverture de la campagne, en constaté et en extrapolé. Techniquement, ces données sont disponibles grâce à des fusions du panel Médiamat avec les panels de Kantar Worldpanel ou avec l’étude TGI de Kantar Media (pour certaines variables attitudinales ou comportementales).
Le principe est le même chez M6 Publicité avec la limite d’âge à 50 ans.

Pourquoi se focaliser sur les moins de 50 ans chez M6 ?

«La télévision présente un profil d’audience de plus en plus âgé» argumente Guillaume Charles, DGA marketing et digital de M6 Publicité. «Et l’annonceur ne paye que la cible achetée, tout en étant vu par plein de personnes n’appartenant pas à cette cible. Aujourd’hui la cible de référence en média-planning TV est la FRDA de moins de 50 ans, et non pas la FRDA, car c’est une cible pivot. Quand on achète sur cible FRDA de moins de 50 ans, on touche mécaniquement toutes les FRDA. Les cibles d’acheteurs de produits sont pertinentes, selon les marchés, mais ne perdons pas de vue la vertu du média-planning en intégrant un peu de socio-démo. Si on ne met pas de limite d’âge, on va sur-presser les acheteurs les plus âgés».
Cela tombe bien : M6 a un profil d’audience plus jeunes que ses concurrents directs.

Est-ce un gage d’efficacité d’utiliser ces cibles Shoppers ?

«Nous avons réalisé une dizaine de tests avec MarketingScan sur des produits de grande conso, raconte Laurent Bliaut, DGA de TF1 Publicité. Chaque test consiste à comparer deux dispositifs à budget identique : une campagne optimisée sur cible socio-démo dans une zone versus une campagne optimisée sur cible Shopper dans une autre zone. En moyenne, cette dernière apporte 7% de chiffre d’affaires supplémentaire pour la marque. Tout récemment, un test sur un parfum sélectif, réalisé sur une cible considérant la marque mais ne l’ayant pas achetée, a même généré +11% de ventes ».

Pour couvrir un spectre plus large de produits et de campagnes, TF1 Publicité et FranceTV Publicité ont mené avec Kantar Worldpanel une analyse rétrospective sur 154 marques et 1077 plans TV diffusés en 2016 et 2017. Achetés sur la base de cibles socio-démos, ces plans ont été évalués sur les cibles Shoppers. Il ressort qu’en moyenne la cible Shopper contribue à 83% de l’impact valeur d’une campagne, alors que la cible socio-démo y contribue à 56% (voir schéma ci-dessous).

Dans 96% des vagues étudiées, l’efficacité de la cible data est supérieure à celle de la cible socio-démo : en moyenne, le ROI par contact délivré est 2,1 fois plus élevé. Un résultat somme toute logique puisqu’une cible Shopper représente, en moyenne, 70% des quantités achetées de la catégorie alors qu’elle couvre 36% des foyers français. «Quand on cible utile, c’est-à-dire en achetant des «GRP Shoppers», c’est plus efficace que le ciblage socio-démo», résume Virginie Sappey, directrice marketing et études de FranceTV Publicité, qui s’appuie sur les mêmes outils de validation.

Quel coût pour l’annonceur ? Le coût au GRP augmente-t-il ?

L’utilisation de la cible est gratuite si elle fait partie des cibles offertes par les régies TV, elle peut coûter jusqu’à plusieurs dizaines de milliers d’euros dans le cas d’une création d’un nouveau secteur dans le panel de Kantar Worldpanel. Chez M6 Publicité, il convient de payer une «petite majoration appliquée au coût de la campagne concernée, pour financer entre autres les coûts de fusion de panels». Par ailleurs, l’optimisation de la campagne TV sur cible Shopper peut entraîner une hausse du coût au GRP sur la cible socio-démo et donc une hausse du budget de la campagne si l’annonceur continue à calibrer son budget sur cette cible. Ce risque n’existe pas dans le cas où la régie garantit un coût au GRP sur une cible socio-démo tout en effectuant l’optimisation du plan sur une cible Shopper, une pratique en cours chez FranceTV Publicité.
Dans tous les cas de figure, s’il y a des coûts additionnels, il convient de les mettre en regard avec le gain d’efficacité obtenu.

Les annonceurs sont-ils intéressés? Qui utilisent les cibles Shoppers en TV et pour quel type de campagne?

«Les premiers tests ont été réalisés par des annonceurs de taille modeste. Mais c’est surtout en 2018 que cette utilisation a décollé, 8 annonceurs de notre top 15 ont optimisé certaines campagnes sur cibles data : Procter, Unilever, Nestlé, L’Oréal… Nous avons alors décidé d’harmoniser nos cibles avec celles de France TV Pub afin de leur faciliter la tache», explique Laurent Bliaut. Il observe que les cibles Shoppers n’ont pas encore été utilisées pour des campagnes de lancement. Elles sont plutôt activées sur des campagnes puissantes de «going», dont la puissance peut atteindre facilement les 400 GRP. Virginie Sappey confirme le décollage de l’intérêt des annonceurs et des agences : «lors des road-shows que nous avons faits pour présenter les nouvelles cibles Shoppers, nous avons eu beaucoup d’attention, de questions, de demandes de plans et d’ouvertures de cibles, notamment de la part d’agences qui sont en charge de grands comptes». Elle estime que l’utilisation de ce type de cible permet de «mesurer et piloter l’efficacité de la TV sur les ventes, de rassurer les marques qui communiquent en TV et sur France Télévisions, et de faire venir de nouveaux annonceurs sur le média. Elle présente aussi l’avantage de redistribuer les cartes en faveur des chaînes historiques, car elle dépasse le cadre de l’âge».

Guillaume Charles est plus prudent : «Nous avons lancé nos cibles acheteurs sur 13 catégories et nous l’étendrons si l’on ressent un besoin. Aujourd’hui, c’est loin d’être une demande systématique du marché qui reste en phase d’expérimentation.» Il rappelle par ailleurs la spécificité du média broadcast : «n’oublions pas que, quand on diffuse une publicité, elle est parfois achetée sur 300 000 téléspectateurs mais ils sont 3 millions à la voir. On ne fera pas aujourd’hui de ciblage extrêmement fin, tant qu’il n’y aura pas la publicité adressée. Quand celle-ci sera possible, les cibles Shoppers pourront plus facilement être déployées».

Un annonceur doit-il généraliser l’utilisation de la cible Shoppers à toutes ses campagnes?

«Je ne pense pas qu’il faille la généraliser, parce que l’annonceur qui veut communiquer sur sa brand equity a besoin de toucher les gens qui ne sont pas encore ses clients, notamment les jeunes », estime Laurent Bliaut. «La grande majorité des campagnes de produits PGC pourrait être faite sur les cibles Shoppers et de temps en temps il faudrait ré-élargir pour ne pas se couper de son futur consommateur». Pour Guillaume Charles, «c’est une bonne initiative d’aller dans cette démarche acheteuse, mais ce n’est pas le seul levier de la télévision, loin de là».

Pourquoi cela n’a-t-il pas décollé plus tôt ?

Laurent Bliaut avance plusieurs explications. Les «gros annonceurs» s’y sont intéressés tardivement car «souvent la cible Shopper ne rentre pas dans les tableaux de reporting des annonceurs internationaux qui comparent leur CPM net dans des dizaines de pays sur la même cible socio-démo». Mais surtout, «entre 2008 et 2016, le coût au GRP a baissé chaque année et une partie de la rémunération des agences s’appuyait sur cette baisse. Or utiliser une cible Shopper a généralement tendance à renchérir le coût au GRP de la cible socio-démo. Depuis 2016, la TV connaît de nouveau une légère inflation et les agences doivent trouver un autre levier que le prix pour augmenter le ROI : un ciblage plus efficace ». Il cite deux autres facteurs : « la démarche commence à s’implanter aux US et le digital a habitué les annonceurs à des possibilités de ciblage autres que le socio-démo».
«Les usages de la consommation ont tellement changé, les marketers et leurs agences média se retrouvent tellement challengés qu’ils ne peuvent plus se préoccuper seulement du niveau du coût au GRP», souligne Virginie Sappey. «À l’heure du multicanal, chacun se pose la question de l’efficacité de l’euro investi. Quand j’investis un euro en TV, est-ce que cela m’apporte quelque chose sur les ventes ou sur ma brand equity?».

Peut-on élargir les cibles Shoppers sur les autres écrans ?

TF1 Publicité a décliné la cible Shopper sur les écrans digitaux de MyTF1 avec l’aide de RelevanC, filiale du groupe Casino. La première campagne vidéo multiscreen de ce type a été diffusée pendant l’été 2018 : avec Havas Media, la marque Puget a ciblé directement les acheteurs d’huile d’olive. Outre un gain de CA de +7% imputé à l’utilisation de la cible Shopper en TV, selon un test Marketing Scan, une progression de +21% sur les ventes en valeur a été observée, par RelevanC, entre exposés et non exposés à la campagne digitale. Le ciblage digital est réalisé grâce à un rapprochement entre les données des personnes loguées à MyTF1 et les données de la base acheteurs de RelevanC. En 2019, TF1 Publicité a lancé une offre spécifique «Data 5 écrans» sur 40 segments de grande conso, commercialisée au CPM net.

Emmanuel Charonnat


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