Une tribune de Céline Bouvier, experte en marketing et fondatrice de VOJO Conseil
À la demande de l’Union des Marques (ex-UDA), j’ai réalisé une étude sur les défis marketing et les implications sur les organisations auprès de 20 dirigeants de grandes marques (DG, CMO, CDO), directeurs généraux de médias, de cabinets de chasseurs de tête, cabinets de conseil, agences, collectant ainsi des perspectives diverses d’une même question.
Alors que j’étais très ouverte sur les conclusions possibles, y compris d’envisager la disparition de la fonction marketing comme l’avaient fait temporairement Accor et Coca-Cola, ce qu’il en ressort est sans appel : le marketing est plus que jamais nécessaire pour construire des marques fortes, mais il réclame une profonde transformation.
Un consensus sur le modèle de destination s’est rapidement dégagé : il s’agit d’écouter le consommateur et de le positionner au centre de l’organisation en temps réel pour lui apporter une expérience optimale, singulière et cohérente. Car sa perception et donc son niveau d’engagement avec la marque résultent désormais de la somme des interactions qu’il a sur tous les parcours, de communication, mais aussi de transaction et d’usage par lui et par ses pairs, là où il y a peu on pouvait imposer la perception de la marque en grande partie par la communication.
On passe d’un «marketing de discours» à un «marketing de preuves».
Si la destination est simple, la question de comment y parvenir s’avère plus complexe. À partir des entretiens que j’ai menés, il apparaît clairement que 5 leviers sont à actionner simultanément, «les 5 E» : l’Écoute, l’Éthique, l’Expérience, l’Écosystème, et l’Efficacité.
L’ÉCOUTE
Tout marketer affirme que cela a toujours été sa responsabilité première. Pour autant, l’écoute hier sélective et dirigée « je sais ce que je cherche », doit désormais muter vers une écoute ouverte, exploitable en temps réel, pour alimenter les plans d’actions à court, moyen et long terme.
C’est aussi l’opportunité de constituer un capital de données, nous devrions dire un patrimoine qui facilite l’accès direct à ses communautés et permet une interaction maîtrisée continue qui se nourrit et irrigue toutes les fonctions.
«Avant, le CRM était en bout de chaîne des réflexions, maintenant c’est l’inverse»
Arnaud Bouchard, Executive VP, Head of Digital Customer Experience – CAP Gemini
L’ÉTHIQUE ET LA RAISON D’ÊTRE
La RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) historiquement portée par la Direction Générale et la Direction de la Communication consistait essentiellement à participer à des initiatives pour limiter les externalités négatives. Cette approche est devenue une « dette », c’est-à-dire le contrat de base. Il convient désormais d’aller plus loin en choisissant un engagement, ou plutôt un combat, légitime, exécutable en cohérence dans l’ensemble des domaines d’activité (produits, communication, commerce), fédérant toutes les parties prenantes de l’entreprise et visant à apporter une contribution tangible – car mesurée – à une cause sociétale, environnementale ou politique, et ainsi obtenir un passeport « droit d’exister » par des consommateurs et collaborateurs plus critiques, plus engagés et en quête de sens.
«Les marques qui dureront sont celles qui seront capables de réconcilier Sens et Business»
Philippe Thobie, ex-CMO Carrefour à l’origine du projet du Marché Interdit (semences paysannes) et du programme «Act for Good»
L’EXPÉRIENCE
Dans un contexte de défiance et de course à l’attention, il est devenu nécessaire d’avoir formalisé une promesse spécifique et singulière de chaque marque.
« On voit le nombre de marques proliférer et nous arriverons à : une marque = une promesse = une expérience différenciante.
Antoine Dubois, SVP Global Marketing Accor
Cette promesse est déclinée en cohérence sur l’ensemble des points de contacts du parcours : communication, transaction, usage. C’est cela qu’on appelle l’expérience. C’est ce qui créera la perception et donc l’engagement du consommateur. Dans un contexte où l’exigence s’élève chaque jour et combine reconnaissance personnelle, qualité, utilité, fluidité, engagement émotionnel, surprise…
Comme le rappelle Antoine Dubois sur cette question de l’expérience, « la question devient, avons-nous un coup d’avance sur l’expérience que nous proposons ? »
L’ÉCOSYSTÈME
L’avantage concurrentiel des organisations, en particulier celles des grandes marques de grande consommation, se construisait à l’intérieur, par l’accumulation d’expériences et d’expertises uniques, solides, réplicables et répliquées grâce à la puissance des moyens.
Aujourd’hui, la force de frappe d’une marque nécessite que ces équipes soient en mesure d’exploiter le plus rapidement possible tout ce qui se passe à l’extérieur: nouvelles opportunités de marché, nouveaux outils, feedback clients ou consommateurs… Et pour cela de reconnaître l’inter-dépendance des forces en présence, de privilégier l’open-source, les partenariats, la flexibilité, la rapidité, la liberté et de faire évoluer significativement les modes opératoires: Culture, Structure, Process et Accompagnement humains sont donc complètement revisités. C’est aussi la clé pour attirer à nouveau les meilleurs talents… En témoigne le nouvel état d’esprit insufflé chez L’Oréal avec le programme «Simplicity» dont Elise Ducret, CMO L’Oréal France, nous rappelle quelques éléments du manifeste:
« Teams are the new heroes »,
« Collaboration is the new confrontation »,
« Eat what you cook ».
Une prise de conscience que les dynamiques collaboratives d’hier ne font plus recette aujourd’hui.
«Si on essaie de résoudre toutes les frictions des parcours clients par des gros projets en interne, on aura besoin de beaucoup trop de temps».
Cécile Lagé, CEO BU Loterie (Groupe FDJ)
L’EFFICACITÉ
Construire un modèle de développement pouvait hier être relativement simple, quasi générique. Il est aujourd’hui nécessaire de reconstituer des modèles d’accès au consommateur et une palette d’indicateurs propres à chacun pour élaborer la bonne recette Reach/ROI, déterminer le point d’équilibre mainstream/personnalisation et surtout évaluer la création de valeur à court et long terme.
« L’enjeu aujourd’hui c’est l’accès au consommateur. Cela a bien sûr toujours été au coeur de notre mission de marketers. Mais aujourd’hui, l’enjeu est dans la précision du ciblage, la juste personnalisation et notre valeur ajoutée à nourrir cette relation à court et long terme. »
Luc Suykens, CMO P&G France/Belgique/Pays-Bas
Les CMO ont un rôle stratégique à jouer pour réussir cette transformation, plus que jamais, ils sont attendus comme contributeurs aux enjeux de court terme (business), mais plus encore pour amener l’organisation à écouter et apporter des réponses aux exigences croissantes du consommateur et ainsi réconcilier les enjeux de valeur à court et long terme.
Céline Bouvier
Céline Bouvier a fondé VOJO, cabinet qui accompagne les organisations dans leur transformation et l’accélération de leur développement, en combinant stratégie marketing & commerciale, plans opérationnels et une meilleure intégration des talents. Elle s’appuie sur une expérience de plus de 20 ans dans le groupe Coca-Cola, où elle a occupé des fonctions de Direction Générale, Direction Marketing, Direction Commerciale en France et en Europe. Avec VOJO, elle accompagne l’UDA, dont elle a été administrateur et membre du comité de direction jusqu’en 2017, et co-anime le Think Tank CMO Open Reinvention, lancé en 2018.
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