Exclusivité CB Expert : une interview de Dominique Delport, President of International et Global Chief Revenue Officer de Vice Media, Speaker à Adforecast#2
Pour Dominique Delport, le futur des médias passera par la fluidité des contenus sur les plateformes. Les réseaux sociaux sont des caisses de résonance et la personnalisation permise par l’IA est trop souvent réductrice.
CB Expert : Depuis plusieurs années, vos fonctions vous amènent à parcourir le monde en permanence. Comment percevez-vous l’évolution des paysages médiatiques ?
Dominique Delport : Ce moment de redéfinition des médias est fascinant. Il est encore plus exacerbé aux États-Unis, où la taille du marché permet à n’importe quelle société d’acquérir vite une taille critique. L’histoire politique américaine connaît un moment totalement hystérisé. En plus du choc tectonique de la technologie, il y a le choc de la bipolarisation et une sorte de défiance envers les médias à un niveau inédit. Les médias se font face et sont, des deux côtés, extrêmement engagés, pour ou contre. Il suffit de zapper le matin entre Morning Joe sur MSNBC et Fox&Friends sur Fox News, vous n’aurez pas le sentiment de vivre dans le même pays. On voit bien comment le social media rend fou les médias.
CB Expert : Comment expliquez-vous cela ?
Dominique Delport : Le rôle des médias est de traduire, d’être le médiateur. Il y a une distorsion entre la réalité perçue par les réseaux sociaux, la réalité amplifiée, et la réalité décodée par les médias. Les réseaux sociaux sont un pouls, un battement de coeur mais ils ne traduisent pas l’état d’âme d’un pays. Ils ont en quelque sorte remplacé la PQR qui servait autrefois de signal pour les politiques. On leur voue une adoration aveugle, comme si c’était un sondage en temps réel, sans tenir compte de leur représentation statistique ou des risques d’astroturfing. Tweeter n’est pas voter. Le Président US lui-même a fait de @realDonalTrump son owned media, son média numéro 1. Il y parle sans cesse, sans filtre. Il crée ainsi l’agenda politique et l’agenda éditorial. La démocratie y perd car on est en permanence dans l’écume et jamais dans le fond des choses.
CB Expert : Y a-t-il une issue ? Les médias peuvent-ils résister aux réseaux ?
Dominique Delport : C’est le travail des rédactions et des médias comme Vice d’aller sur le terrain et de parler des sujets de fond. Aujourd’hui, ceux qui parlent fort et stigmatisent ont le vent dans le dos. Et la question se pose comme toujours : les médias aident-ils à appréhender le monde et sa diversité ou vont-ils vers celui qui fait le plus de bruit ? Nous devons continuer d’essayer d’éduquer, sans donner de leçon. Les jeunes générations ne supportent plus qu’on leur en donne. Ils ne supportent plus les éditorialistes, les personnes plus âgées qui leur disent quoi penser.
CB Expert : Et comment s’adresser à ceux qui sont nés avec Internet et les réseaux sociaux ?
Dominique Delport : Ils veulent voir les faits, ils veulent qu’on leur présente les choses de la façon la plus équilibrée possible, non partisane, non biaisée. Et ensuite ils décident par eux-mêmes.
Les réseaux sociaux leur ont amené des nouveaux pouvoirs : celui de faire entendre leurs voix et celui de recevoir et juger des informations sans filtre ni médiation. Avec le risque que, parmi ces infos, il y ait des fake news et de la manipulation. Ce qui a toujours existé mais qui est aujourd’hui amplifié par les réseaux. 34% des 18-24 ans aux US ne sont pas totalement convaincus que la terre est plate ! (sondage YouGov).
C’est pour cela, que chez Vice, les journalistes, les producteurs, les éditeurs, les monteurs, doivent avoir l’âge de notre public. Pour s’immerger dans la vie de notre audience, obtenir des témoignages plus authentiques. Nous devons faire confiance aux jeunes journalistes et ne pas avoir 4 ou 5 étages de hiérarchie qui annihilent toute initiative. C’est de cette confiance que naissent la créativité et la capacité de parler à ce public des 18-35 ans qui s’est détourné des médias traditionnels, et qui est lui-même créateur ou co-créateurs de contenus sur Snapchat ou Instagram.
CB Expert : Pourtant, vous avez aussi lancé une chaîne de TV : «Viceland»…
Dominique Delport : La télé sera toujours là et il n’y avait pas de raison que l’on prive les personnes qui souhaitent voir du contenu Vice de les regarder sur la télévision. Destinée initialement pour les générations X (Baby-Boomers) et Y (Millennials), cette chaîne est un formidable prototype pour les challenges industriels à venir, notamment autour de l’OTT, du multiplateforme et du multi-écran. Cela fait 15 ans que l’on parle de la fin de la télévision. La TV ne fait que se réinventer. Vice ne pouvait pas zapper l’écran TV alors que nous sommes présents sur les écrans mobiles et au cinéma.
Tout média aujourd’hui doit comprendre les plateformes sur lesquelles il s’étend. Chacune d’entre elles, Facebook, Twitter, Snapchat ou encore la plateforme de gaming Twitch, souvent sous-estimée mais ô combien puissante, a sa propre ADN.
Les médias n’ont pas le choix. Être un média de destination est de plus en plus compliqué. En revanche, ils peuvent miser sur leur ubiquité, sur leur capacité à attirer vers leurs contenus un public déjà présent sur une plateforme. C’est ce que nous faisons au travers de Snapchat Discover, sur lequel Vice figure dans le top3 des marques médias dans le monde.
CB Expert : Les plateformes numériques ne vont donc pas tuer les médias ?
Dominique Delport : Les GAFAN (+N comme Netflix) ont eu un impact vertueux : ils ont mis les médias ensemble. Les ennemis d’hier sont devenus partenaires dans les plateformes de SVOD. C’est par exemple Hulu aux États-Unis, créé par les grands studios américains. On voit la même chose en France avec Salto, en Angleterre (BBC, Channel4, ITV) et en Allemagne. C’est une dynamique vertueuse : ce qui les rapproche est plus important que ce qui les sépare.
Le modèle des télés est solide mais celles-ci ont deux pressions. Premièrement, elles doivent se mettre au niveau technologiquement pour égaler la simplicité des interfaces des Uber, Airbnb et autres. Il s’agit d’une référence technologique : si je n’ai pas une application qui réagit aussi vite, qui est aussi fluide que ces apps-là, je suis disqualifié. En France, MyCanal sur AppleTV est simplement bluffante. On sait coder dans notre pays !
Deuxièmement, elles doivent créer des histoires authentiquement locales qui ont la capacité de voyager dans le monde entier. Cette année a montré que les histoires locales pouvaient avoir un succès mondial : les séries « La Casa de Papel » (espagnole) et « Dark » (allemande) sur Netflix, la comédie « Crazy Rich Asians » sur la jeunesse dorée de Singapour, ou encore BTS, ce groupe coréen de K- Pop qui a été numéro 1 des charts américains. On assiste à une globalisation des histoires et des talents locaux, d’ailleurs amplifié par les réseaux sociaux.
Je suis convaincu que la France est un pays d’histoires, que l’Europe est un continent d’histoires, et qu’ils peuvent les raconter au monde entier. Les jeunes générations sont bien plus ouvertes aux nouveaux types de narration, aux langues étrangères, aux séries sous-titrées. L’avenir des médias, c’est du local qui sait voyager, c’est du contenu qui est aussi pensé pour une audience internationale. C’est notre pari. Chez Vice, nous avons 900 producteurs de contenus en langue locale dans 35 pays.
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Avec les questions suivantes :
. Quelles sont les implications pour les annonceurs ?
. Les marques pourront-elles encore émerger et comment ?
. L’Intelligence Artificielle viendra-t-elle au secours des médias et des annonceurs ?
. D’ailleurs, la personnalisation des contenus et des messages est-elle souhaitable partout, tout le temps ?
. Nouvelles interfaces ou nouveaux services, qu’est-ce qui vous a frappé récemment ?
. Pensez-vous que le digital a rendu les gens plus heureux ?
Propos recueillis par Emmanuel Charonnat
Dominique Delport est President of International et Global Chief Revenue Officer de Vice Media, depuis mai 2018 après 17 années passées à la direction du Groupe Havas, dont il a été Directeur Général au niveau mondial. Il demeure membre du Conseil de Surveillance de Vivendi, dont il présida la division Contenus, Vivendi Content, entre 2015 et 2018. Vice est un groupe multimédia s’adressant à la jeunesse du monde entier. Lancé en 1994, il opère dans plus de 30 pays et distribue ses programmes à travers le digital, le linéaire, le mobile, le cinéma et les réseaux sociaux. Il comprend un réseau international de chaînes digitales, un partenariat de programmes d’actualité avec HBO, un studio de production, un magazine, un label de musique, une agence créative intégrée et la chaîne de TV Viceland. Vice compte parmi ses actionnaires Disney, Fox, TPG, Fidelity, WPP…
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