En Direct de New York – chronique des médias et de la publicité aux USA, par Vincent Létang, Magna Global (IPG Mediabrands)
La 89ème cérémonie de remise des Oscars dimanche dernier sur ABC a fait les gros titres en raison de l’incroyable gaffe des comptables de Price Waterhouse qui a conduit Faye Dunaway et Warren Beatty à proclamer La La Land meilleur film alors que Moonlight avait remporté la catégorie (La La Land ayant tout de même remporté le plus grand nombre de statuettes dont meilleure actrice et meilleur réalisateur).
Mais la cérémonie 2017 restera notable pour une autre raison: c’est la deuxième plus faible audience de l’histoire des Oscars. L’édition 2017 a attiré seulement 33 millions de spectateurs, ce qui représente une baisse de 5% par rapport à 2016, déjà une année faible, et de 22% par rapport à 2013, il y a seulement quatre ans. Pour mémoire la plus faible audience est toujours celle de 2008 : 32 millions.
La performance 2017 est encore beaucoup faible si l’on regarde les cibles publicitaires clés : -13% vs 2016 sur les adultes 18-49 (-30% par rapport à 2013), -25% sur les 18-34 (-37% vs 2013) et enfin: -35% sur les 18-24 (-47% vs 2013).
Ce résultat est dans la ligne de la chute enregistrée par les « tentpole events » de 2016 (cérémonies de prix et grandes finales sportives) et du Super Bowl 2017. La stabilisation des Grammys et des Golden Globes 2017 au cours des dernières semaines a probablement été aidée par l’atmosphère politique actuelle, les spectateurs attendant et espérant des prises de position anti-Trump dans les discours des stars – ce que ne manqua pas de faire la grande Merrill Streep lors des Golden Globes. Les Oscars ont aussi donné lieu à des critiques (assez modérées et indirectes) de la part du maitre de cérémonie Jimmy Kimmel et de plusieurs récipiendaires, mais cela n’a clairement pas suffi à attirer les spectateurs.
Quels autres facteurs pour expliquer l’accélération de la baisse tendancielle en 2017 ? Le plus évident est probablement l’absence de gros succès commerciaux et de grandes stars parmi les films et les acteurs nommés. Moonlight n’est pas Star Wars, Casey Affleck n’est pas Brad Pitt et Emma Stone n’est pas Angelina Jolie. La déconnexion croissante entre Box-Office et nominations aux Oscars exacerbe la chute d’audience sur les cibles jeunes, le public des blockbusters. Spotlight, Birdman, 12 Years a Slave et Moonlight, les vainqueurs des quatre dernières années ont en commun l’absence de grandes stars au casting, une distribution limitée et un Box-Office, disons, art-et-essai. A l’inverse les plus fortes audiences, historiquement, ont été enregistrées les années où de grands succès étaient nommés (par exemple 57 millions de spectateurs en 1997 l’année de Titanic). Enfin la concurrence, le même soir, de la série la plus populaire de la télé américaine (The Walking Dead sur AMC) était aussi un handicap pour l’édition 2017.
La baisse des ratings des MTV Awards ou des Jeux Olympiques en 2016 pouvaient, pour une part, s’expliquer par les retransmissions simultanées en streaming, non prises en compte dans le calcul des ratings. Mais dans le cas des Oscars, pas de streaming direct et intégral : il faut donc chercher du côté de l’érosion de l’intérêt des consommateurs pour la télévision linéaire et ce type de programme en particulier
Au-delà de toutes ces raisons conjoncturelles, le déclin d’audience des Oscars est symptomatique d’une accélération dans les changements de consommation télévisuelle. Les jeunes (et plus seulement les jeunes) ne sont tout simplement plus aussi attirés par les programmes de près de quatre heures entrecoupés de multiples coupures de pub. Le glamour des robes de soirées et la glorieuse incertitude du direct (portée à son paroxysme cette année) ne suffisent plus à remplir les sofas.
On avait déjà mentionné cette tendance à l’occasion de la chute spectaculaire des cérémonies d’ouverture et fermeture des Jeux de Rio (-40%), ou encore des Video Music Awards de MTV en 2016. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes préfèrent regarder les « highlights » (les clips des meilleurs moments) sur leur téléphone le lendemain matin.
Les organisateurs et les diffuseurs sont probablement conscients du problème, et pourtant la cérémonie 2017 était la plus longue des dix dernières années. Pourquoi cela? Sans doute parce que les prix atteints par les écrans publicitaires en valent la peine : l’édition 2017 aurait rapporté 115 millions de dollars de recettes publicitaires, et la diffusion a évidemment et aisément enregistré le meilleur rating de la soirée.
Le rating moyen de 9,1% est très en deçà du rating de 2013 (12,9%) mais c’est tout de même quatre ou cinq fois plus que ce que peuvent rassembler les networks en prime time en moyenne. Et c’est pourquoi, malgré l’érosion accélérée des ratings depuis quatre ans, et le vieillissement du concept, la chaine ABC a prolongé jusqu’en 2028 son contrat avec l’Académie.
Vincent Létang
@vletang_magna
Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.
Lire les autres chroniques de Vincent Létang sur les USA :
. Le bilan 2016 de l’industrie américaine des médias en 10 points (12 déc. 2016)
. Le streaming des «Tentpole Events» : le début de la fin pour le broadcast aux US ? (13 sept. 2016)
. Très fort début d’année pour le marché publicitaire américain (18 juin 2016)
. Les stars des TV Upfronts 2016 ? Le Big Data et les reboots (24 mai 2016)
. Les TV Upfronts : culte du « contenu roi » ou relique du passé ? (19 mai 2016)
. Le cinquantième Super Bowl bat encore des records (4 fév. 2016)
. «Un seul être vous manque…Télévision, Politique et Publicité aux USA» (30 janvier 2016)
. « Pourquoi le marché publicitaire US pèse-t-il aussi lourd ? » (8 janvier 2016)
. « Television : The Empire Strikes Back » (21 décembre 2015)
. « La déflation numérique tue la croissance publicitaire aux USA » (24 octobre 2015)
. « Programmatic Goes Mainstream » (6 octobre 2015)
. « Emmys 2015 : le leadership perdu des networks US sur la fiction » (29 septembre 2015)
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