Le streaming des «Tentpole Events» : le début de la fin pour le broadcast aux US ?

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En Direct de New York – chronique des médias et de la publicité aux USA, par Vincent Létang, Magna Global (IPG Mediabrands)

 

Vincent-Letang-5-avec logo magna et ipg mediabrands

En résumé :

· L’effondrement de moitié de l‘audience des MTV Video Music Awards 2016, l’un des « Tent Pole Events » de la TV américaine, est un nouveau signe de l’accélération du changement en matière de consommation TV, depuis le début de l’année, et du retard de la mesure d’audience dans l’environnement multi-plateformes, multi-écrans.

· Plus tôt cet été, la forte baisse des ratings des Jeux Olympiques, avait montré que le sport n’est plus immunisé contre la baisse générale de l’audience et que le streaming n’est plus cantonné à la VOD et à la fiction, mais peut désormais concerner et supporter les grands évènements en direct.

· Ces deux genres en direct étaient pourtant censés garantir la centralité – ou au moins la pérennité – du modèle traditionnel de la télévision linaire dans l’écosystème du divertissement audiovisuel.

Dans une précédente chronique, au début de l’année, nous avions souligné que les « Tentpole Events », ces grands évènements télévisuels (finales sportives, cérémonies de remise de prix) étaient le dernier, le seul genre de la télévision américaine à résister, jusque-là, au reflux général de l’audience que l’on observe depuis maintenant six ans. Les raisons semblaient claires, solides et pérennes : ces évènements exceptionnels transcendent âges et générations, et sont regardés le plus naturellement en famille ou entre amis, en direct, sur grand écran. C’est du moins ce que l’on croyait il y a moins d’un an.

Depuis, les performances des « Tentpole Events » tout au long de l’année ont montré que cette catégorie de programme, censée représenter l’essence, la raison d’être et le dernier rempart de la télévision dans son mode de diffusion et de consommation le plus traditionnel, est maintenant elle-aussi atteinte par l’érosion massive des audiences « téléviseur ». La croissance spectaculaire et simultanée du streaming live est clairement responsable d’une grande part des baisses de rating TV, mais nul ne sait exactement si l’audience « totale » multi-écrans est, en fait, stable.

Deux exemples récents ont illustré l’universalité et l’ampleur du phénomène : les MTV Video Music Awards et les Jeux Olympiques.

Lancés en 1984, les MTV Video Music Awards (VMA) ont longtemps été le programme phare de la chaîne MTV (groupe Viacom) mais aussi le symbole de la génération du vidéo clip, au point que certains ici l’ont surnommé « le Super Bowl de la jeunesse ». La chaîne s’est progressivement distancée du vidéo clip et de son positionnement musical, mais les VMAs ont su rester populaires auprès de la jeunesse, pendant trente ans, en s’adaptant constamment aux nouveaux styles musicaux et aux nouvelles stars. Les vidéos elles-mêmes sont passées au second plan derrière le côté « people » et les incidents du direct (chacun ici se souvient du rappeur Kanye West interrompant la chanteuse Taylor Swift au cours de l’édition 2009).

Magna graf VMAC’est pourquoi les résultats de l’édition 2016, diffusée le 30 août, ont constitué un choc : le show a subi une baisse massive de ses ratings TV sur toutes les cibles démographiques.
5,5 millions de personnes ont regardé les VMAs sur un téléviseur cette année, contre 8,5 millions en 2015, 9 millions en 2014 et 12,6 millions (le record) en 2011. Le rating sur la cible des 12-24 ans s’est effondré à 2,6% (1,4 million de jeunes) contre 5,7% (3 millions de jeunes) il y a seulement un an (-53%), et près de 11% en 2011, il y a seulement cinq ans. Spectaculaire sur le cœur de cible, la baisse d’audience a également touché toutes les autres cibles : -25% sur les 25-54 ans.

Dans le même temps, la consommation du show, simulcasté sur MTV.com, avec des «snackable highlights » sur la page Facebook de MTV a atteint 46 millions de streams, contre seulement 4,5 millions en 2015.

Il est clair que la disponibilité du show sur Facebook et sur MTV.com est la principale raison de l’effondrement de l’audience TV, plutôt qu’un désintérêt soudain de la part du public. Plutôt que de regarder l’émission sur un sofa entre amis, comme ils l’auraient fait en 2011, plutôt que de la regarder seul sur le sofa avec smartphone en main pour commenter par texto ou tweet comme ils l’auraient fait en 2014 ou 2015, les jeunes de 2016 préfèrent apparemment regarder et commenter sur la même plateforme universelle de divertissement et de communication, leur smartphone. Et peu importe la taille de l’écran, la qualité du son, ou le délai par rapport au direct. Le show était déjà diffusé en live sur Facebook en 2015. L’écroulement de l’audience TV est donc le signe d’une accélération soudaine des habitudes de consommation.

Ce qui n’est pas clair, en revanche, c’est l’audience totale, « cross-screen », du show et comment faire pour la comparer avec les années précédentes. C’est un problème récurrent maintenant, mais exacerbé dans le cas des programmes destinés à la jeunesse. Est-ce que la croissance du streaming des VMAs a compensé, oui ou non, l’effondrement des ratings TV par rapport à 2015 ? C’est une question cruciale pour les sponsors et les annonceurs : les « 46 millions de streams » annoncés par Viacom représentaient-ils une audience équivalente aux 3,5 millions de spectateurs manquants par rapport à 2015. Cela pourrait être le cas, en théorie, si 3,5 millions d’usagers uniques ont généré chacun une douzaine de streams (3,5*13=46) regardant le show par intermittence pendant les deux heures du programme, zappant sur Twitter et s’envoyant des textos dans les intervalles. Mais les agences de pub ont peu de visibilité sur le comportement des streamers.

Viacom et Facebook possèdent probablement des réponses et des estimations mais le problème fondamental reste que ces données ne peuvent être aujourd’hui confirmées par les grands pourvoyeurs de données d’audience « third-party » comme comScore ou Nielsen. Nielsen en particulier, travaille d’arrache-pied depuis deux ans sur la «Total Audience Measurement Initiative » afin de fournir des données standards consolidant ratings TV, streaming live et VOD mais c’est un casse-tête dans un univers où usage et technologie évoluent trop vite, et où la mesure d’audience semble avoir toujours un temps de retard. A ce stade, la plupart des régies ont déjà accès aux données « totales » de Nielsen mais les agences n’y auront accès que début 2017.

Une chose est sûre en tout cas : même dans l’hypothèse (optimiste) où l’audience « totale » des VMAs 2016, et de MTV en général, serait plus ou moins constante sur les deux dernières années, les recettes publicitaires totales (TV+digital) de Viacom sont en baisse constante depuis huit trimestres, ce qui signifie que l’opérateur ne parvient pas à monétiser suffisamment la consommation qu’il génère avec ses programmes traditionnels sur les plateformes alternatives, malgré ses efforts pour suivre les jeunes dans leur comportement social et de « snacking » (courts extraits).

Il faut certes relativiser l’exemplarité des VMAs et de MTV. Viacom est l’éditeur le plus touché en ce moment parce que ses programmes visent particulièrement les jeunes (MTV, VH1, Nickelodeon…). Mais rappelons que les chaînes du câble dans leur ensemble se portent mieux et parviennent, pour l’instant, à développer leurs recettes publicitaires (environ +5% sur le premier semestre 2016). Ceci grâce à une inflation à deux chiffres des CPMs (coûts pour mille), qui contrebalance la baisse des ratings (8% par an).

Mais prenons donc un genre qui brasse un public beaucoup plus large et familial, les Jeux Olympiques.

Rio 2016 : -25% par rapport à Londres 2012

Dans une chronique précédente, je remarquais que le sport était le dernier et le seul genre de la télévision américaine à résister devant l’érosion générale de l’audience. Le Superbowl 2016 en février, légèrement en retrait des records de 2015, avait déjà écorné le mythe. Les Jeux d’été, qui se répètent tous les quatre ans à la même période et sur le même format, offrait l’opportunité de tester à nouveau cette hypothèse.

Résultat : à l’instar du changement climatique et de la fonte des glaciers, l’érosion de l’audience TV « sur la télé » est encore plus rapide que prévu et plus aucun genre de TV en direct, pas même le sport, n’est à l’abri.

Magna graf JOSur l’ensemble des Jeux, les ratings de NBC en prime-time était en baisse de -25% par rapport à Londres 2012. Plus prolixe en data que Viacom sur les VMAs, NBC a révélé que le « Total Audience Delivery »  (intégrant le streaming live des Jeux sur NBC.com et ses applis) a ajouté en moyenne 7% de reach à l’audience TV. Le jeudi 9 août, l’une des meilleures journées, a rassemblé 33 millions de spectateurs sur NBC et 36 millions en ajoutant les streamers (+8%) mais cela reste très en deçà des audiences de 2012. Ainsi, malgré la présence de nouveaux sports et l’augmentation du nombre d’heures de diffusion, malgré un décalage horaire minimal permettant de diffuser le live en prime-time, malgré l’avalanche de médaille US et l’omniprésence des stars US de la natation et de la gym, l’audience totale a été en baisse : 27 millions de spectateurs en moyenne sur l’ensemble des 13 jours, contre 31 millions attendus par les responsables du network. Gros écart.

Pour ceux qui souhaiteraient voir le verre à moitié plein, les Jeux ont une nouvelle fois permis à NBC d’écraser la compétition pendant ces 13 jours, en réunissant trois fois plus de spectateurs que les prime-time combinés d’ABC, CBS et Fox. Et le network a annoncé avoir engrangé 1,2 milliard de dollars de recettes publicitaires… Reste à connaître la rentabilité de l’opération, considérant les milliards payés par NBC pour les droits de diffusion et les milliers de spots gratuits que le network a dû offrir aux annonceurs dans les semaines suivantes pour compenser l’audience insuffisante des campagnes et atteindre la garantie de CPM.

L’année du live streaming

Les Jeux de Rio ont atteint de nouveaux records pour le streaming vidéo : plus de 3,3 milliards de minutes, dont 2,7 milliards de streaming live. Aux Etats Unis, plus de cent millions de spectateurs uniques ont streamé à un moment ou à un autre durant les 13 jours et le volume de streamings simultanés ont atteint plus d’un demi-million durant certaines soirées. La consommation de streaming était beaucoup plus importante pendant la journée, si j’en juge par mes collègues ici, qui avaient presque tous le player de NBC ouvert dans un coin de leur ordinateur où sur leur smartphone. La croissance de la consommation pendant la journée est peut-être un des aspects qui permet de mitiger la baisse des ratings de prime-time.

Et c’est sans doute la grande nouveauté. Soudain, le streaming n’est plus nécessairement synonyme de VOD, synonyme de catch-up, synonyme de fiction: 2016 restera l’année où le live streaming est devenu banal (“mainstream”) sur tous les écrans, y compris pour le sport. On a tendance à oublier le challenge technique que cela était censé représenter. Il y a deux ans les matchs de l’après-midi de la coupe du monde de foot étaient tous diffusés sur écran géant dans nos bureaux de New York et les employés étaient encouragés à aller les regarder plutôt que streamer les matchs sur leur ordinateur ou leur smartphone, de peur que le volume ne fasse exploser nos (énormes) capacités informatiques.

Conclusions

Quels sont les enseignements pour l’industrie de la TV aux US ? Si la baisse des recettes pour une chaîne comme MTV est due au retard dans l’adoption d’une mesure d’audience « cross-platform » par le marché publicitaire, qui conduit à une sous-monétisation des nouveaux usages, nous sommes juste face à transition, certes douloureuse, mais les « dinosaures » devraient pouvoir survivre au changement, s’adapter et prendre leur envol.

Si, au contraire, les audiences « cross-screen » consolidées (lorsqu’elles seront connues et acceptées par toute l’industrie) sont réellement en chute, cela signifie que les programmes conçus et optimisés pour la télévision linéaire ne peuvent pas, ne pourront jamais rassembler dans le nouvel environnement les audiences et les reach dont les grands annonceurs traditionnels de la télévision (grande conso, auto, etc) ont besoin, auquel cas c’est la fin programmée des diffuseurs traditionnels de TV linéaire.

Face à la montée du streaming et du on-demand, le scénario de la survie à long-terme de la télévision linéaire dans son format broadcast traditionnel (audience familiale, large reach, coûts de transmission faibles dus aux économies d’échelle) dépend de ces trois hypothèses, et toutes les trois ont été battues en brèche cette année.

Tableau Vincent Letang

Vincent Létang
@vletang_magna

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Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.

 


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