La chronique « En direct des US », par Vincent Létang, Magna Global (IPG Mediabrands)
En résumé :
· La dépense publicitaire a augmenté de près de +8% au premier trimestre aux USA. Cette croissance, la plus forte depuis douze ans, a été dopée comme d’habitude par les médias numériques (+21%) mais aussi par la télévision linéaire (+6%).
· Parmi les drivers cette année : les élections, les Jeux Olympiques, mais aussi le « soccer ».
· En conséquence MAGNA augmente d’un point sa prévision de croissance pour l’année pleine, à +6.2% (plurimédia). Les investissements publicitaires devraient atteindre cette année 178 milliards de dollars.
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La forte croissance des ventes publicitaires en début d’année est due à plusieurs facteurs : les nouveaux médias numériques restent attractifs (en particulier la vidéo en ligne et les réseaux sociaux qui augmentent toujours de +35% et +50% respectivement) et la télévision tire bénéfice des élections et d’un pricing power revigoré.
En ce début d’année 2016, on assiste à une concentration inédite des investissements sur deux catégories de média, au détriment de toutes les autres. Les ventes de pub radio ont diminué d’environ -3% ce trimestre, comme en 2015, et vont continuer à s’éroder au même rythme. La presse a limité les dégâts au premier trimestre (-10% pour la presse quotidienne, -4% pour la presse mag) mais nous prédisons que le résultat annuel sera proche de -10% à -12% pour les deux familles de presse. Seule la publicité extérieure continue de bénéficier de l’innovation numérique pour conquérir de nouveaux annonceurs et augmenter ses recettes (+3% au premier trimestre). Au total les investissements nets ont augmenté de +7,8% au premier trimestre, le plus fort taux de croissance en douze ans.
Au cours du premier trimestre l’audience de la télévision linéaire a ainsi baissé d’environ -8% mais le coût du CPM sur le marché scatter (= les ventes proches des dates de diffusion) a augmenté de plus de +15% par rapport au premier trimestre 2015, générant ainsi une hausse des recettes nettes d’environ +6%.
Au cours de l’année 2014 et pour la majeure partie de 2015, la demande de télévision linéaire avait souffert de la concurrence des médias numériques. Beaucoup d’annonceurs de grande consommation, relativement conservateurs dans leurs mix médias et historiquement fidèles à la télévision (alimentation, boissons, pharmacie, hygiène-beauté) avaient subitement et significativement augmenté leurs utilisation des formats numériques (vidéo bien sûr mais aussi search et social). Mais deux choses se produisent depuis quelques mois : certains annonceurs se sont aperçus que le retour sur investissement et l’impact des campagnes numériques sur les ventes n’étaient pas aussi fort que prévu, ou plus difficile à mettre en évidence avec leurs outils habituels de ROI. Par ailleurs et surtout, l’érosion de l’audience depuis trois ans a atteint un point où beaucoup d’annonceurs sont inquiets de perdre le niveau de pression publicitaire TV qu’ils estiment indispensable pour soutenir leurs marques et leurs ventes. C’est ce qui explique qu’ils sont prêts (pour l’instant) à supporter une inflation à deux chiffres du CPM pour préserver leur niveau de pression et leurs parts de voix. C’est ce qui explique que, pour le deuxième trimestre consécutif, les investissements TV augmentent fortement, en même temps que les investissements numériques.
Malgré ce regain d’attractivité pour la TV linéaire, nous prédisons toujours que les investissements numériques tout format (search, display, vidéo, social) vont croitre de près de +15% cette année pour rejoindre l’investissement TV: 68 milliards de dollars (38% de part de marché) pour chacun. La success story de 2015 et de ce début d’année, du côté des formats numériques, ce sont les formats vidéos des réseaux sociaux. Introduits par Facebook fin 2014, les pubs vidéos sur réseaux sociaux représentent déjà 16% de l’ensemble des recettes de vidéo numérique d’après MAGNA.
Ce qui se produit pour la télévision en ce début d’année aux USA (inflation du CPM plus forte que l’érosion de l’audience) est également observé par MAGNA Intelligence [please insert a link to your article on our new dans beaucoup d’autres marchés : le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Allemagne et, dans une certaine mesure, la France. Ceci renforce notre conviction qu’il s’agit d’une réaction – peut-être disproportionnée et donc temporaire – des annonceurs endémiques à la TV traditionnelle de masse, face à la menace, réelle ou supposée, d’une pénurie d’audience.
En plus d’un pricing power en pleine forme, l’autre facteur qui bénéficie à la télévision américaine cette année ce sont bien sur les évènements non-récurrents de 2016. D’abord le sport : les jeux olympiques de Rio sur le network NBC en août, attirent un niveau d’intérêt sans précédent de la part des annonceurs et sponsors, grâce un décalage horaire plus favorable que Londres (Rio est à une heure de New York) et de nouveaux sports (dont le golf). Il faut aussi mentionner l’intérêt croissant pour le « soccer » : la Copa America qui se déroule en ce moment sur le sol américain avec toutes les grandes sélections d’Amérique Latine, mais aussi l’Euro 2016. Je peux témoigner que, parmi les nombreux jeunes soccer fans qui peuplent les agences de pub a New York, beaucoup sont encore plus excités par l’Euro que par la Copa America ou le team USA, parce qu’ils suivent avec passion les grands championnats européens tout au long de l’année. Ainsi Max mon voisin de bureau, natif de Kansas City, est supporter de Manchester United (personne n’est parfait).
Au total, les grands évènements sportifs de l’été devraient apporter à la télévision nationale la bagatelle de 735 millions de dollars supplémentaires cette année.
L’autre grand booster cette année, c’est bien sûr la publicité politique, principalement sur les stations locales.
Le fait que Donald Trump remporte les primaires républicaines en ayant dépensé relativement peu d’argent en campagnes TV pourrait inquiéter les propriétaires de stations pour deux raisons. D’abord parce que cela prouve qu’il est possible de remporter une élection grâce aux réseaux sociaux et à la publicité gratuite apportée par la couverture médiatique des chaînes d’information (et à l’inverse le flop total de la candidature de Jeb Bush malgré un niveau de dépensé très élevé). Par ailleurs, et sur le court terme, certains craignent que le candidat Trump continue de dépenser beaucoup moins que les précédents « nominees » républicains pendant l’été et l’automne.
En réalité, MAGNA estime que les primaires ont apporté un niveau d’investissement record: du côté GOP (Grand Old Party – parti républicain) la faible dépense de Trump a été plus que compensée par le grand nombre de candidats bien financés (Bush, Cruz, Rubio..) ; du côté démocrate la campagne a été beaucoup plus longue et serrée que prévu, et le candidat alternatif Bernie Sanders a été capable de « lever » et dépenser plus que tous les autres candidats, des deux partis. Au total plus de 480.000 spots de pub ont été diffusés par les candidats démocrates et républicains entre janvier et mi-mai 2016, contre 330.000 sur la même période de 2008 (la dernière fois que les deux partis ont organisé des primaires compétitives). Quant au reste de la campagne, le ralliement, bon gré mal gré de la majorité des républicains derrière Trump, et la haine de Hillary Clinton au sein des donneurs conservateurs, devrait permettre à la campagne Trump de lever et dépenser des montant comparables ou supérieurs à ceux observés en 2008 et 2012. Sur l’ensemble de l’année, les revenus des chaines, locales et nationales, s’élèveront à 3,2 milliards de dollars.
Vincent Létang
@vletang_magna
Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.
Lire aussi :
. Publicité Monde : un début d’année plus dynamique que prévu dans plusieurs grands marchés (Magna Global, 18 juin 2016)
. Premier trimestre : la pub Internet aux USA réalise sa meilleure croissance depuis 4 ans (IAB/PwC, 12 juin 2016)
Les chroniques de Vincent Létang :
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. Les TV Upfronts : culte du « contenu roi » ou relique du passé ? (19 mai 2016)
. Le cinquantième Super Bowl bat encore des records (4 fév. 2016)
. «Un seul être vous manque…Télévision, Politique et Publicité aux USA» (30 janvier 2016)
. « Pourquoi le marché publicitaire US pèse-t-il aussi lourd ? » (8 janvier 2016)
. « Television : The Empire Strikes Back » (21 décembre 2015)
. « La déflation numérique tue la croissance publicitaire aux USA » (24 octobre 2015)
. « Programmatic Goes Mainstream » (6 octobre 2015)
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