Les présentations des networks pour la saison 2016-2017, à New York la semaine dernière, se sont focalisées sur les nouvelles solutions de ciblage. Et quelques nouveaux shows… enfin, pas si nouveaux.
« En direct des US », par Vincent Létang, Magna Global (IPG Mediabrands)
Après mon article sur le principe, l’organisation et l’évolution des TV Upfronts, je vous propose de revenir aujourd’hui sur le déroulement et les thèmes des présentations 2016.
Face à l’érosion constante des ratings, les networks paraissent avoir compris que le salut ne proviendra pas de nouveaux programmes miracles, mais de leur capacité à entrer dans l’ère de la data : des « solutions » de ciblage avancé maximisant la valeur et la pertinence de l’audience. Bref, contre la croissance de la vidéo en ligne, il s’agit de promouvoir la qualité (contenu premium, audiences engagées et qualifiées) versus la quantité (lent déclin des ratings).
Ainsi, les présentations des networks, qui se sont étalées sur toute la semaine à New York, n’ont rien révélé de sensationnel en termes de nouveaux shows. Cette année la tonalité générale était plus business que glamour. Plutôt que la présence de stars, c’est l’efficacité de la télévision linéaire que les networks ont mise en avant. Plutôt qu’un énième show « procédural » ou une énième comédie familiale, les ad sales managers ont tous insisté sur de nouveaux partenariats avec des fournisseurs de données consommateur, offrant à leurs clients de nouvelles opportunités de ciblage avancé ; ceci afin de rivaliser avec celles des médias numériques.
Malgré un renouvellement important des programmes chaque année, l’érosion des ratings continue au même rythme imperturbable de -7% par an. Certains networks enregistrent des baisses bien plus importantes (ABC est à -16% cette saison) et les chaines du câble ne sont pas épargnées. C’est le signe qu’il ne s’agit pas d’une faiblesse passagère de la stratégie de programmation ou de la créativité des producteurs, mais d’une tendance de fond, portée par un double effet d’époque et un effet générationnel.
Face à cela, les équipes de ventes publicitaires des networks ont d’abord tenu à rappeler ce qui rend la télévision linéaire irremplaçable pour beaucoup de catégories d’annonceurs. Certes, elle conserve une confortable avance sur Facebook et Youtube en terme de puissance et de reach : NBC, par exemple, a pu affirmer que le consommateur américain passe toujours sept fois plus de temps devant la télévision que sur Facebook et vingt fois plus que sur Youtube. Mais l’écart se réduit rapidement, en particulier sur la cible des 15-34 ans. D’après les calculs de MAGNA Intelligence, au premier trimestre 2016, les Américains ont consommé 16 milliards d’heures de télévision, contre 5 milliards d’heures passées sur Facebook (3 fois moins) et 2.5 milliards d’heures sur Youtube (6 fois moins). Mais ni Facebook ni Youtube ne peuvent à eux seuls procurer aux annonceurs de la grande consommation, du cinéma ou de la distribution, le reach et la puissance instantanée dont ils ont besoin chaque jeudi et vendredi, avant le week-end. La majorité des annonceurs restent convaincus de l’efficacité de la télévision sur les ventes et de l’incapacité des plateformes alternatives à se substituer at scale à un plan TV, pour l’instant ; c’est ce qui explique qu’ils sont prêts à supporter une inflation du CPM de 10% ou plus sur certaines day parts, générée par la raréfaction de l’offre. Pour le moment.
Fort d’une confiance retrouvée, le ton des networks a parfois été offensif. Ainsi le patron des ventes de Fox, Toby Byrne, a-t-il qualifié l’abondance de la vidéo sur le web de « video subprime » en référence à la bulle des prêts immobiliers pourris qui a précipité la crise financière de 2008-2009.
Après avoir rappelé la force du medium, les responsables des networks ont cherché à dissiper l’impression que la TV linéaire se ringardise et se fait dépasser par les médias numériques en terme de ciblage et de retour sur investissement. Entre deux nouveaux shows, ils ont présentés de multiples nouvelles solutions de ciblage permettant d’aller au-delà des critères traditionnels (âge, sexe) pour atteindre, par exemple, les consommateurs à la recherche d’une nouvelle voiture. Auparavant, le ciblage était réalisé de manière probabiliste, en insérant des spots dans les genres et les horaires a priori préférés par les cibles commerciales. Mais il est désormais possible en croisant données d’audiences et bases de données consommateurs d’atteindre un nombre précis d’individus de la cible et de négocier le coût sur cette base (« audience buying ») voire d’atteindre uniquement les ménages appartenant à la cible (« household addressability »).
Ainsi par exemple, NBC a présenté deux nouveaux produits :
- « ATP » (Audience Targeting Platform) : une solution d’audience buying en partenariat avec Nielsen
- « NBCU+ » : une solution d’ household addressability (live+VOD) basée sur des données du câblo-opérateur Comcast (Comcast et NBC Universal faisant partie de la même holding).
Une semaine plus tôt, Viacom avait annoncé un partenariat permettant aux annonceurs d’avoir accès à des données de paiement d’American Express.
Et les nouveaux programmes ?
Plus de la moitié (52%) des nouveaux shows présentés l’an dernier ont été annulés en cours ou à l’issue de la première saison. Pour les remplacer, plus de quarante nouveaux shows tenteront leur chance en octobre 2016. L’un des plus attendu sera Designated Survivor (ABC), avec Kiefer Sutherland dans le rôle d’un membre subalterne de la Maison Blanche promu Président suite à l’assassinat du Président et des membres du Congrès.
Une grande tendance cette année est le lancement de shows basés sur des films. Malgré l’échec des trois tentatives de l’année dernière (Minority Report, Limitless, Rush Hour), les networks ne se découragent pas et lancent pas moins de sept nouveaux drama basés sur des films à succès: Time After Time (ABC), Training Day (CBS), Taken (NBC), Frequency (CW), Lethal Weapon et The Exorcist (Fox).
Même si le succès d’un show n’est jamais garanti, la notoriété d’un titre et d’un concept donne au show une chance supplémentaire d’accrocher le spectateur dès les premiers épisodes, et accroît le potentiel de ventes en « syndication » (aux stations locales) et à l’international.
Le reboot d’anciennes séries est également une recette de plus en plus tentée pour minimiser le risque d’échec : l’un des évènements de l’année dernière était ainsi le reboot de X-Files avec le casting original ; le show, sur Fox, a été l’un des rares succès de cette saison. Parmi les nouveaux reboots attendu à l’automne : MacGyver (CBS) et Prison Break (Fox), là encore avec le casting original. Mais l’un des reboots les plus attendus sera 24: Legacy, produit par Kiefer Sutherland pour Fox, avec un tout nouveau casting.
Les nouveaux acteurs de la vidéo en ligne ne sont pas en reste.
Au cours des « NewFronts » (un peu plus tôt au mois de mai), le patron de Hulu, Mike Hopkins, a annoncé la poursuite de sa politique de production originale, qui a contribué à augmenter le nombre d’abonnés de 33% en un an. Il a confirmé que la grande majorité des 12 millions d’abonnés Hulu+ restent sur la version avec publicité (à $7.99 par mois) malgré le lancement d’une offre premium totalement commercial-free, il y a six mois, pour $11.99 par mois.
Parmi les nouvelles productions originales cet automne, figure Chance, un thriller psychologique avec Hugh Laurie (la star de Dr House).
Hulu a également révélé que 70% de la consommation de Hulu a pour support la bonne vieille télévision de salon, via les TV connectées, les boitiers Apple TV ou Roku, ou la clé Chromecast. Et encore cette statistique n’inclut pas l’accès via un smartphone ou une tablette via « Airplay ». Youtube, de son côté a cherché à se positionner comme un medium mainstream touchant un public plus large, non limité aux plus jeunes. Ainsi Youtube a tenu à rappeler qu’il atteint plus d’individus âgés de 18 à 49 ans sur les plateformes mobiles que n’importe quel network traditionnel (CBS étant numéro 2).
Vincent Létang
@vletang_magna
Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.
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