Le débat républicain de jeudi dernier a souffert du boycott de Donald Trump, mais les perspectives de recettes publicitaires TV restent au beau fixe pour le cycle électoral 2016. « En direct des US » by Vincent Létang (Magna Global)
En direct des US, par Vincent Létang, Magna Global
(IPG Mediabrands)
Les Etats-Unis sont l’une des rares grandes démocraties où les campagnes électorales génèrent des dépenses publicitaires massives. Magna Global prédit que le cycle politique de 2016 devrait engendrer plus de trois milliards de dollars de recettes pour la télévision américaine. Et, cerise sur le gâteau, les débats organisés par les networks du câble enregistrent cette année des audiences record grâce au show Donald Trump.
Mardi 2 février va marquer le début officiel de la campagne présidentielle 2016, ici aux USA, avec les premières primaires, traditionnellement organisées dans l’Iowa. C’est pour nous l’occasion de se rappeler que politique et télévision ont une longue histoire commune aux Etats-Unis. Par sa nature dramatique, plutôt que son importance civique, le long feuilleton des primaires et des conventions, est devenu un évènement télévisuel incontournable, et ce très tôt dans l’histoire de la télévision.
La couverture TV des primaires a commencé des 1953 mais le grand moment fondateur dans la relation politique/télévision reste les premiers débats présidentiels entre JF Kennedy and Richard Nixon à l’automne 1960. Le troisième de ces débats enregistra unrating de 66 (=66% d’audience soit environ 65 millions de spectateurs) et la victoire de Kennedy, par une marge infime, est généralement attribuée a sa performance télévisuelle.
Les élections présidentielles (tous les quatre ans) et les élections législatives (tous les deux ans) sont une double bénédiction pour la télévision américaine dans les années paires.
L’audience des débats TV : une année record… grâce à l’effet Trump
Le premier bénéfice est relativement modeste mais il a fait la une de l’actualité cette année car il était inattendu : les audiences énormes réalisées par les débats entre candidats aux primaires, et les recettes publicitaires plus importantes que prévu qui en découlent. Le débat organisé jeudi dernier entre candidats républicains était déjà le septième depuis le mois d’août. Dès le début, la candidature de Donald Trump, milliardaire new-yorkais et star de la télé réalité (« The Apprentice ») a électrisé le débat et galvanisé les audiences.
Le tout premier débat, sur Fox News en août 2015, avait attiré 24 millions de spectateurs et une part d’audience de 5,3% sur les adultes 18-49 (à comparer avec une PDA de moins de 1% à ce stade de la pré-campagne quatre ans plus tôt) et une PDA de 21% sur les 65+ (contre 6% il y a quatre ans).
Pour mémoire, un rating au-dessus de 5 est très rare aux US (en dehors du sport) et n’est atteint que par les séries les plus populaires comme « The Walking Dead ». Les débats suivants, sur les différentes chaînes de news du câble, ont eu des performances variables mais toujours très supérieures à celles d’il y a quatre ans.
Au cours des dernières semaines, l’aggravation des relations entre Donald Trump et Fox News portait sur la participation de la journaliste Megyn Kelly, qui s’était attiré les foudres de Trump lors d’un débat précédent. Trump menaçait de boycotter le débat du jeudi 28 janvier à Des Moines, Iowa, si Kelly n’était pas mise à l’écart ; la chaîne a tenu bon et Trump a mis sa menace à exécution. Le verdict de l’audience: seulement 12 millions de téléspectateurs et une PDA de 2,3% sur les 18-49, soit une audience totale en baisse de 50% par rapport au précédent débat sur Fox News. C’est bien la preuve expérimentale que le succès des débats télévisés jusqu’à présent n’a rien à voir avec un regain d’intérêt pour la chose publique et doit tout aux saillies provocatrices de Donald Trump qui par sa seule présence, outrancière, charismatique et chaotique, a transformé les primaires républicaines en une série de télé-réalité.
La publicité politique
Que l’audience soit bonne ou mauvaise, l’impact des débats TV reste anecdotique en termes de recettes publicitaires, comparé aux montants astronomiques des dépenses par les partis et comités de soutien pour leurs campagnes télévisées. Les Etats-Unis sont en effet l’une des rares grandes démocraties où les campagnes électorales génèrent des dépenses publicitaires massives (l’autre étant l’Inde). Magna Global prédit que le cycle politique de 2016 devrait engendrer plus de trois milliards de dollars de recettes supplémentaires pour la télévision américaine, un record.
La publicité politique à la télévision a toujours été autorisée aux USA, mais les montants investis ont pris une ampleur nouvelle au cours des cinq dernières années. La décision «Citizens United vs Federal Election Commission» de la Cour Suprême en Janvier 2010 a conduit à un déplafonnement des montants que les partis et comités de soutien peuvent consacrer à l’achat média. Les « super PACs » (Political Action Committees) en particulier, peuvent dépenser des dizaines voire des centaines de millions de dollars, venant d’entreprises et de particuliers milliardaires, pour soutenir des candidats ou attaquer leurs rivaux. Le cas le plus extrême est illustré par les frères Koch, magnats du charbon et ultra-conservateurs, qui ont annoncé leur intention de réunir et dépenser 900 millions de dollars pour soutenir des candidats républicains conservateurs aux élections présidentielles et législatives de 2016, soit plus que le « Grand Old Party » républicain lui-même. En l’an 2000, lorsque George W. Bush remporta une victoire contestée sur Al Gore, la dépense publicitaire totale représentait 800 millions de dollars. Huit ans plus tard, en 2008, elle atteignit 1,9 milliard de dollars. Après l’entrée en vigueur de la dérèglementation « Citizens United » l’élection suivante (Obama contre Romney en 2012) généra 2,8 milliards de dollars de recettes pour la télévision.
Les stations locales enregistrent 90% des recettes de la publicité politique : la totalité des campagnes locales (sénateurs, représentants, gouverneurs etc.) et des primaires. Elles attirent aussi l’essentiel de la dépense présidentielle : vu le système des Grands Electeurs (qui attribue la totalité des grands électeurs d’un Etat au candidat arrivant en tête quel que soit l’écart de voix) les deux candidats finalistes choisissent toujours de concentrer la pression publicitaire sur les « Swing States », les quelques grands Etats dont le vote reste indécis. La couverture des stations locales des networks est idéale pour atteindre leurs objectifs de geo-targeting. En 2000, les recettes politiques de la télévision locale représentaient 3% des recettes annuelles sur l’ensemble des secteurs ; après «Citizen United» ce ratio est grimpé à 13% en 2012.
Au moment où les médias numériques sont sur le point de détrôner la télévision en termes de part de marché publicitaire, il peut sembler surprenant que les annonceurs politiques continuent de concentrer leurs dépenses sur la bonne vieille télévision linéaire. L’investissement dans les médias numérique est bien sûr en croissance mais reste très loin en volume derrière la télévision locale. La raison ? La télévision généraliste locale fournit non seulement une couverture que les médias numériques ne peuvent atteindre (en particulier sur les cibles seniors qui constituent une part disproportionnée des votants) mais elle est efficace pour atteindre et convaincre les citoyens indécis, peu concernés, qui surfent peu sur le web mais regardent beaucoup la télévision. C’est paradoxalement la nature superficielle de l’attention TV qui permet au message politique de s’immiscer plus sûrement dans l’opinion des citoyens a priori peu impliqués.
La campagne a démarré plus fort et plus tôt cette année. L’agence spécialisée CMAG a annoncé que, dès le mois de décembre, l’intensité des spots politiques dans l’Iowa était dix fois supérieure au niveau enregistré huit ans plus tôt à ce stade, tandis que le quart des spots diffusés dans le New Hampshire (second Etat à organiser des primaires après l’Iowa) soutenait (ou dénigrait) un candidat aux primaires.
Magna Global prédit que les recettes totales de la télévision vont atteindre un nouveau record en 2016 : plus de quatre milliards de dollars, dont plus des trois quarts (3,2 milliards, contre 2,8 milliards en 2012) constitueront des recettes incrémentales. Le surcroît de recettes provient des prix beaucoup plus élevés payés par les annonceurs politiques par rapport aux autres verticaux, et de l’inflation générale des coûts créée par le surcroît de demande pendant les dernières semaines de campagne.
Ce niveau de dépense record devrait être atteint malgré le fait que la liste des Etats indécis (« Battlegrounds ») tend à se réduire de plus en plus: la plupart des Etats sont désormais très fortement acquis aux Républicains (Texas et Vieux Sud) ou aux Démocrates (New York, Californie). En 2012, 84% de l’achat TV étaient concentrés sur seulement sept Etats (Ohio, Floride, Colorado etc.).
Vincent Létang
@vletang_magna
Vincent Létang analyse l’industrie des médias et de la publicité depuis 20 ans. Il vit à New York et dirige les études de marché globales de Magna Global, une division d’IPG Mediabrands.
Lire les autres articles de Vincent Létang « En direct des US »
- Tags: Audiences, Elections, ElectionUS, EnDirectDesUS, Gratuit, Hebdo29, MagnaGlobal, Publicité, Télévision, Tribune, USA, Veille